[FB] Tout projet doit avoir de bons piliers ! (ft Markus)

Tandis qu’il s’habillait, l’appelle de son nom le fit se figer un instant. Donovan s’était attendu à tout, sauf à quelqu’un qui le connaissait … car c’était le cas, non ? Pourquoi l’appeler par son prénom sinon ? C’était étrange autant qu’inattendu, car à ce jour peu de personnes avaient l’intimité de l’appeler autrement que par son patronyme. Mais alors qui ? Piquée à vif, sa curiosité lui fit accélérer les choses et annonçant sa venue il termina d’enfiler une chemise, juste à temps pour ouvrir la porte et découvrir un fantôme tout droit sorti du passé. C’était une femme aux cheveux roux, une femme que Markus connaissait bien, avait bien connu.

« — Claire Dearing » déclara-t-il en guise de salutation.

Il était étonné et cela se voyait. Pendant un instant, Markus chercha autour d’elle une escorte, quelque chose lui indiquant qu’elle n’était pas seule, et sa raison se surprit à découvrir qu’elle n’était pas accompagnée. Que faisait-elle là et surtout … qu’est-ce qu’elle lui voulait ? S’il n’avait été qu’un parmi des centaines, la chose était loin d’être réciproque : la rouquine n’avait pas été n’importe qui et Donovan se souvenait bien de Claire Dearing, jadis directrice de Jurassic World et victime à sa manière de la créature qu’elle et ses scientifiques avaient engendré. Si de l’eau avait bien évidemment coulé sous les ponts, Markus savait aussi qu’elle n’avait pas été épargnée par le changement. A la recherche du pardon, sans doute, elle avait drastiquement changé le cap de ses priorités pour faire des dinosaures sa seule et unique préoccupation. De loin et pourtant plus assidûment qu’il ne voulait bien l’accepter, en digne ex-acteur du fiasco qu’avait été Jurassic World Markus avait suivis son parcours et ses avancements : la création de la DPG, le rachat d’Isla Sorna, une des îles possédées par InGen, puis son très récent projet d’en faire une réserve. Ces informations, Donovan n’avait pas eu à chercher bien loin pour les trouver : les médiats avaient fait le plus gros du travail, et sa curiosité pour la chose le reste.

Tout cela, bien sûr, Dearing l’avait fait sans lui, puisque Donovan avait perdu son job et même temps que le parc ses chances de rouvrir. Malgré leurs nombreuses tentatives de reprendre le contrôle de l’île, l’incident de l’Indominus Rex avait fait des ravages irrémédiables et quelque part, Markus n’avait pas regretté d’avoir perdu ce travail qu’il avait longtemps idéalisé, le fait d’avoir frôler la mort n’y étant pas pour rien. Aujourd’hui, loin de ces monstres d’un autre temps, Donovan se portait bien. Il manquait quelque chose dans sa vie désormais bien monotone, mais une part de lui avait fini par se résigner. Si tel était le prix à payer pour rester en vie, c’était peu cher payer, non ?  Pourtant, en voyant Claire Dearing là, devant lui, l’ancien soldat pouvait sentir son quotidien sur le point de se fracturer. Comment pouvait-il en être autrement ? L’homme d’action le percevait, comme un second instinct, et c’était d’ailleurs pour cela qu’il n’avait jamais rappelé l’ancienne directrice, malgré les nombreux messages qu’elle avait pu lui laisser. Donovan voulait-il voir sa paisible vie chamboulée ? Pas vraiment, et certainement pas à cause de cette femme qui, pendant si longtemps, s’était fait de l’argent sur les autres. Changeait-on vraiment ? Markus avait parfois du mal à le croire. Pendant un instant, l’ancien soldat demeura silencieux, chercha une raison à sa présence.

« — Je ne sais pas ce que vous me voulez, mais j’ai déjà témoigné contre InGen. Quelques soit vos projets juridiques à leur égard, je ne vous serai pas plus utile que je ne l’ai déjà été » assura Donovan, qui avait décidé de prendre les devants.

Oui, elle était surement là pour cela. L’ancienne directrice avait surement besoin d’argent pour son nouveau projet et avait dû trouver une faille pour extorquer InGen et ses associés. Sans doute voulait-elle un témoignage de sa part et si indirectement les récits de Markus avaient pu l’aider dans le passé, Donovan n’avait pas l’intention de réitérer l’expérience. Oui, elle était surement là pour ça … sinon quoi d’autre ?

La patience de Dearing fut mise à rude épreuve, car Markus mit longtemps à se décider. Quelque chose au fond de lui le regrettait déjà, mais sans un mot il s’écarta finalement de l’encadrement de la porte pour laisser passer l’ancienne directrice, l’invitant à entrer. Le mutisme de Donovan n’avait rien de personnel : cette froideur, Markus l’offrait à n’importe qui, n’importe quand, et quiconque le connaissait le savait bien.  En entrant, Claire tomba directement sur un salon-cuisine vaste et lumineux qui trahissait les revenus plus que correcte de l’ancien soldat … les désastres avaient leur part d’avantages : InGen avait raqué en dommages et intérêts et Donovan n’avait pas manqué d’en profiter, comme tout un chacun.

« — Je vous offre un café ? » proposa-t-il.

Sans attendre sa réponse, l’ancien soldat alluma la cafetière et rapidement, l’odeur si particulière envahit la pièce, embauma leur esprit. Tandis que la machine faisait son œuvre, Donovan prit appuis sur l’un des plans de travail de la cuisine, non sans avoir au préalable inviter la rouquine à s’assoir.

« — Un travail, hum ? » répéta Markus. Tourner autour du pot n’était pas dans ses habitudes et aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle « Ce doit être sacrément important, pour vous voir faire le déplacement » déclara-t-il.

Peut-être n’aurait-ce pas été nécessaire si cet idiot de Donovan avait daigné lui répondre ou même la rappeler, mais bon … on ne se refaisait pas, n’est-ce pas ? Encore un peu méfiant, Markus demeurait sur ses gardes. Si Dearing avait certainement changé, elle restait à ses yeux, pour l’heure, une bureaucrate douée pour les chiffres mais pas pour le vivant. Son avis, largement influencé par sa méconnaissance de celle qui avais jadis gérer le parc à thème le plus dangereux de la planète, n’était pas gravé dans la pierre et ne demandait qu’à être changé … hélas, Markus avait bien trop l’habitude des faux-semblants pour se laisser persuader au premier coup de cil et Claire se heurtait aujourd’hui à des années de préparation sur la question, cette histoire avec InGen lui ayant servi de leçon.

« — Oui, j’ai entendu parler de ce … projet » déclara Markus « Sauver les dinosaures, leur offrir une seconde vie … louable, bien qu’un peu utopiste. J’ai été étonné d’apprendre qu’InGen avait accepté de vendre l’île. Vous avez dû leur offrir une sacrée somme » affirma-t-il.

Utopiste, oui, mais pas irréalisable. Réaliste plus que pessimiste, Donovan ne cachait pas sa réserve quant à ce projet qui avait jadis déjà été évoqué bien des années plus tôt par Hammond lui-même. Résultat ? Un parc avait ouvert 10 ans plus tard, et Jurassic World était né. Certaines choses ne changeaient jamais, parmi elles la cupidité de l’homme et son désir instinctif de dominer.

Lorsque Claire lui demanda ce qu’il faisait désormais, Markus partit chercher deux tasses pour les remplir de café. Il en tendit une encore fumante à l’ancienne directrice, avant de reprendre sa place contre le plan de travail.  

« — J’ai trouvé un poste d’instructeur, pas très loin d’ici. J’apprends aux gens à tirer » raconta l’ancien soldat « Les risques d’y croiser un dinosaure génétiquement modifié y sont plus minces qu’ailleurs » assura-t-il.

Cette pique était gratuite et Markus devait bien l’avouer, mais il y avait pourtant dans ses mots une part de vérité. Si Donovan ne regrettait pas cet épisode de sa vie, force était de constater qu’il dormait sur ses deux oreilles depuis qu’il avait quitté l’archipel des Cinq Morts. Un sourire s’esquissa sur le coin de ses lèvres, preuve que son animosité n’était pas portée envers Claire Dearing … elle avait, certes, sa part de responsabilité dans ce qui s’était passé, mais le poids de ces erreurs ne reposait pas sur ses épaules … pas entièrement du moins.

« — Vous croyez vraiment que les dinosaures ont besoin de votre aide, à Isla Sorna ? » lui demanda finalement Markus « Hammond semblait plutôt clair à ce sujet » ajouta-t-il.

Pour survivre, les dinosaures n’ont pas besoin de notre aide : juste de notre absence. Tels étaient les derniers mots du vieil homme à l’égard de ces dinosaures, qu’il avait un temps tenté de préserver. Sa mort et le rachat d’InGen par Masrani Corp. avaient mis un terme à ces idéaux, à ce rêve que Claire semblait aujourd’hui partager avec lui.

« — J’ai fait un séjour à Isla Sorna lors de mon arrivée chez InGen, en guise de formation. C’est la jungle là-bas, une jungle qu’InGen a vieillis de 65 millions d’années. Après la tempête de 95, les dinosaures ont repris possession de l’île, exactement comme à Nublar aujourd’hui. Beaucoup de dinosaures, à Jurassic World, venaient de là-bas. Je le sais, parce que ça leur coûtait moins cher de nous envoyer les chercher, plutôt que de les recréer en laboratoire » raconta Markus.

Sans doute Claire le savait-elle déjà … ou peut-être pas, Donovan n’en savait rien après tout. Dans ses souvenirs, le Site B était tout sauf accueillant … et Dearing souhaitait en faire une réserve, et s’y installer ? Quel genre de folie l’avait-elle frappé ?

« — Qu’attendez-vous de moi, Claire ? » lui demanda-t-il finalement « J’espère que ce n’est pas un nouveau parc que vous avez en tête, parce que dans ce cas vous perdez votre temps ici, avec moi » affirma l’ancien soldat.

Si Markus n’avait jusqu’à présent pas relevé le sous-entendu de l’ancienne directrice le concernant, il ne lui avait pas échappé pour autant. Intentionnellement ou pas, ses paroles avaient trahi les raisons de sa présence aujourd’hui : Dearing souhaitait le voir intégrer son projet, et l’ancien soldat se demandait bien pourquoi, et surtout en quoi il pouvait lui être utile. Donovan avait passé plus de 10 ans à traquer les dinosaures, pas à les soigner ni à passer du temps avec eux. Il n’était ni vétérinaire, ni comportementaliste … alors quoi ? Une chose était certaine : l’expérience d’un nouveau parc à thème ne le tentait pas. Les dinosaures n’étaient pas faits pour vivre avec un public, Hammond l’avait compris bien avant eux.

« — De ses propres erreurs ? Sans doute. De celles des autres ? J’émets des réserves » répondit Markus, qui ne cachait pas son scepticisme « Vous avez peut-être retenue la leçon aujourd’hui, mais d’autres demain se remettront à croire que c’est possible » déclara-t-il « Tant que vous serez là tout se passera bien, et puis après ? Que se passera-t-il lorsque vous ne serez plus là, lorsque la route que vous aurez pavée sera prête pour d’autres ? Le temps a tendance à effacer la mémoire des gens, même lorsqu’il ne le faudrait pas. Ce n’est pas comme si ce n’était pas déjà arrivé » fit-il remarquer.

Les îles des Cinq Morts avaient été en paix … tant que John Hammond avait été vivant. La visite du T-Rex à San Diego avait longtemps marquées les esprits des américains et du monde entier, mais comme tous les traumatismes il avait finis par s’estomper, par s’effacer. L’évènement avait finis par n’être qu’un mauvais souvenir dans la mémoire des gens, l’horreur avait été oubliée, enterrée, et Masrani en avait profité pour ouvrir un nouveau parc 10 ans plus tard. Dix ans, était-ce le temps qu’il fallait pour oublier qu’une idée était mauvaise ? Il fallait le croire, aussi le très terre à terre Markus se posait la question : en quoi le projet de Claire Dearing était-il différent ? Comment être sûr que, dans 10 ans, ses collaborateurs ne finiraient pas par répéter les erreurs du passé face à ces créatures qu’ils s’imagineraient à leur merci ?

« — Je ne dis pas que c’est une mauvaise idée, je dis qu’il faut la penser à long terme » ajouta finalement Markus, comme pour nuancer ses propos.

Non, Markus ne crachait pas sur l’idée de Dearing, mais son expérience sur la question le rendait prudent, pessimiste … ou réaliste, tout dépendait du point de vue. Une part de lui croyait en elle et à ses idéaux louables, emplis de bonnes volontés ; une autre cependant, défiants des hommes, ne parvenait pas à s’imaginer, à terme, une autre issue que celle qu’il craignait. En cela, sans doute était-il exactement le genre d’homme qu’il lui fallait, car Donovan était de ces hommes à espérer le meilleur, tout en étant préparé au pire.

Transparente, par la suite l’ancienne directrice lui exposa son projet plus en détail, annonça ce qu’elle attendait de lui. Silencieux, Donovan l’écouta avec attention, et il ne put empêcher son esprit de se projeter dans ce projet pour lequel il aurait préféré ne pas être tant attirer. Markus Donovan ne faisait pas exception à la règle : il n’apprenait rien du passé, n’en tirait aucune leçon. Mais bon, cette fois, c’était différent hein ? Mais oui, bien sûr que c’était différent … n’est-ce pas ? Se mentir à lui-même, ça aussi, Markus savait bien le faire.

« — Clôturer l’île entière ne sera pas une mince affaire, et la rendre hermétique sera impossible. Le plus dur ne sera pas d’empêcher les choses de sortir : de mémoire, la plupart des dinosaures d’Isla Sorna ne savent pas nager en pleine mer … non, vous l’avez dit vous-même : le plus dur sera d’empêcher les choses d’entrer, et quand je dis les choses, je parle des gens bien sûr » expliqua l’ancien soldat. Il prit une gorgée de café, avant de poursuivre « Il faudra pucer les animaux, en particulier pour les volants afin de savoir quand ils s’éloigneront trop de l’île. Nous devrons les répertorier et Dieu seul sait ce qu’il y a là-bas. J’ai croisé un Spinosaure une fois, et cette bestiole ne faisait pas partie de la liste des espèces brevetées par InGen. Qui sait ce que ce taré d’Henry Wu a fait d’autre dans son labo. Tout ça va vous coûter une fortune, madame Dearing » assura le militaire.

La DPG avait intérêt à avoir les reins solides car une chose était certaine : ils allaient casquer et c’était peu de le dire. Dans ce tableau demeurait un point que Dearing avait manqué d’éclaircir, et que Markus n’ignorait pas … il était homme de terrain, mais n’était pas sans connaître les rouages de la juridiction.

« — Quel est le positionnement d’InGen dans tout cela ? Ils vous ont vendu cette île, mais vous ont-ils vendu les dinosaures aussi ? » demanda l’ancien soldat.

Combien valait un ankylosaure déjà, 7 millions, 10 millions ? Et combien de dinosaures sur l’île ? Bien plus qu’à Nublar, c’était certain … comment pouvait-il récolté tant d’argent ? C’était bien le genre de Masrani, de vendre une terre sans sa faune … d’ailleurs, la terre leur appartenait-elle vraiment ? A l’époque, Hammond n’avait su acquérir qu’un bail auprès du Costa Rica, mais la suite restait floue dans l’esprit de l’ancien soldat. Markus posa sa tasse à moitié pleine, croisa un instant les bras autour de son torse.

« — Est-ce que vous avez des projets aussi pour Isla Nublar ? Il reste des dinosaures là-bas aussi » demanda-t-il « Aux dernières nouvelles, Roberta y est encore, tout comme Blue. Owen ne voudra certainement pas la laisser là-bas. Je présume qu’il fait partie de l’opération ? » supposa-t-il.

Là où il y avait des dinosaures et Claire Dearing, Owen Grady n’était jamais très loin. Markus ignorait si Dearing y avait déjà pensé ou non, mais prévoyant Donovan voulait savoir à quoi s’attendre. La raptor aux écailles bleues avait une place importante dans le cœur de l’animalier et Markus le savait bien … l’ancien soldat ne s’imaginait pas un seul instant que le dresseur de raptor se contenterait de la laisser là-bas à la merci d’InGen, qui jusqu’à présent n’avait jamais été en mesure de la capturer … mais pour combien de temps encore ?

« — Si je vous pose toutes ces questions, c’est parce que je veux savoir dans quoi je m’engage » déclara finalement Markus, qui n’était pas sans savoir que ses paroles et ses questions pouvaient être mal interprétées. Les remarques de l’ancien soldat se voulaient constructives, pas destructrices « Si tant est que j’accepte, bien évidemment » ajouta-t-il, comme pour lui faire croire qu’il y réfléchissait encore.

Pouvait-il vraiment la duper ? Plus que sa raison ne l’aurait voulu, la proposition de l’ancienne directrice attisait son intérêt et ses nombreuses questions le trahissaient.

Ce qu’InGen comptait faire de cet argent n’était cependant pas le sujet de leur discussion et Markus se garda bien de mettre ça sur le tapis. Chaque problème en son temps, hein ? Quant à Isla Nublar cependant, c’était visiblement une autre histoire … pourquoi ? Pourquoi abandonner Sorna et pas Nublar ? Qu’y avait-il à Nublar, qui suscitait tant l’intérêt de Masrani ? Trop de questions pour trop peu de réponses, et Dearing avait tors si elle croyait pouvoir se laver de tout ça. L’ancienne directrice aurait beau faire tout ce qu’elle voudrait, l’ombre de la Masrani Corp. et d’InGen ne cesserait jamais de planer au-dessus d’elle.

En bon prédicteur qu’il était, Markus ne fut pas surpris d’entendre qu’il serait question un jour d’aller chercher Blue. Si Donovan n’avait jamais été proche des animaux de l’île, l’ancien soldat avait toujours reconnu le lien particulier qui unissait Owen Grady et ses raptors, le peu de fois où Markus avait eu affaire à eux. Si le projet restait certes lointain – Markus l’avait bien compris – il n’en restait pas moins avéré et l’ancien soldat devait s’y préparer. Silencieux, il écouta avec attention la fin du discours de Dearing, qui redoublait d’efforts pour persuader son égo. Ses raisons, Markus les connaissait bien : les soldats expérimentés en matière de dinosaures ne courraient pas les rues et pour ce genre de projets, Claire Dearing ne pouvait pas se permettre d’embaucher n’importe qui. Oui, l’ancienne directrice avait besoin de lui et loin de vouloir en jouer, Markus l’avait bien compris. Son silence, qui s’étendit bien après les dernières paroles de la jeune femme, trahissait le doute qui hantait son esprit, ce même doute qui l’avait fait hésiter à l’idée de laisser Dearing entrer plusieurs minutes plus tôt. Comme pour combler le vide, Donovan porta la tasse à ses lèvres, la vida d’une traite.

« — Laissez-moi la journée pour prendre ma décision » lui demanda-t-il finalement en posant sa tasse désormais vide sur le plan de travail « J’ai besoin d’un peu de temps pour être certain que retourner là-bas n’est pas totalement une mauvaise idée » expliqua-t-il, un sourire léger sur le coin des lèvres.

Si son ton se voulait blagueur, Markus ne plaisantait qu’à moitié et Dearing était bien obligée de reconnaître la légitimité de sa remarque. Après tout, elle lui demandait de quitter une vie de sécurité sur le continent pour retourner auprès de créatures qui avaient failli mettre un terme prématuré à son existence. Qui de censé accepterait ça ? Loin, bien loin de s’imaginer ce que l’avenir leur réservait, Markus ignorait encore combien ce choix allait changer sa vie … car dans la vie, ce qui arrivait finalement n’était pas l’inévitable, mais l’imprévisible. Donovan avisa l’heure sur le micro-onde.

« — Je termine à 18h aujourd’hui. Je peux vous rappeler si vous êtes pressée, autrement je connais quelqu’un qui tient un restaurant pas très loin d’ici. Ce n’est pas de la grande gastronomie, mais on y mange bien, sans s’y empoisonner. Je vous dois bien ça, pour vous avoir fait vous déplacer » déclara Markus.

Bien que détournée, l’invitation n’en demeurait pas moins claire autant que sincère : quelque part, Markus s’en voulait un peu d’avoir donné tant de mal à Dearing pour le retrouver. Il avait désormais une dette envers son entêtement et s’il n’espérait pas qu’un diner lui suffirait pour s’en acquitter, cela restait tout de même un bon début.

Markus n’avait pas manqué de promettre à Dearing de la tenir informé quant au nom et à l’endroit dudit restaurant auquel il l’avait convié. Si Donovan n’avait nullement l’intention de concurrencer Owen Grady en la matière, l’aspect quelque peu cavalier de son invitation le frappa après coup. Non mais, qu’est-ce qu’il lui avait pris d’inviter Claire Dearing à dîner ? Markus tenta de ne pas trop s’en faire : Dearing devait être habituée aux diners d’affaire, l’ancien militaire espérait simplement que l’endroit ne serait pas trop low cost pour elle. Radin, l’homme de main ? Non, Markus n’avait simplement jamais changé ses habitudes de vie et quelques chiffres en plus sur le montant de son compte en banque n’y avait rien changé. Si la voiture avait pris du galon (il fallait bien se faire plaisir quand même) et l’appartement quelques pièces, Markus Donovan avait gardé une simplicité de vie qui ne laissait en rien deviner la petite fortune que la Masrani Industrie et InGen avaient dû débourser pour réparer les torts causés par leurs erreurs. Puisque Markus avait fait le choix de vivre une vie normale, la vie normale l’attendait désormais et chassant de son esprit ce chamboulement inopiné, Donovan s’affaira à reprendre le cours normal de sa journée … autant que cela lui était possible.

Le Stuzzichini avait sa réputation dans le quartier, tout autant que ceux qui y travaillaient. Les italiens avaient cette caractéristique-là, celle de ne jamais passer inaperçu quel que soit l’endroit où ils se trouvaient et bien sûr, ceux du Stuzzichini ne dérogeaient pas à la règle. Puisque le temps et la saison le permettaient, Markus avait fait réserver une table en terrasse et il n’eut aucun mal à retrouver Claire Dearing à l’heure convenue. Comment aurait-il pu en être autrement ? Les formules de politesse échangées, Markus ne tourna pas autour du pot longtemps … à quoi bon ? Donovan n’était pas là pour lui faire perdre son temps, qu’il savait précieux. Ils s’assirent, commandèrent à boire, et lorsque le serveur eut disparu Donovan se lança, parce qu’après tout ils étaient là pour ça.

« — Je ne vous ferai pas mijoter plus longtemps, Claire. J’accepte de venir vous aider à Isla Sorna » déclara l’ancien militaire.

L’homme lui épargna son point de vue concernant son propre choix, ainsi que ses réserves qu’il s’imaginait bien largement partagée. La clarté sans superflue faisait partie de ce qu’il était : en digne soldat qu’il avait été, Markus avait appris à donner des réponses claires, sans fioritures. Il avait appris que, lorsqu’un supérieur demandait si une forme était ronde ou carré, il ne fallait pas répondre ronde et bleue et cette habitude, Donovan l’avait gardé. Sans doute Claire s’était-elle attendue à une tonne de conditions et de promesses, à un débat sans fin, à de rudes négociations … jadis, Markus n’aurait pas manqué de lui faire jouer cette chanson-là. Aujourd’hui ? Donovan avait dépassé tout ça … parce qu’on fond, son projet bien qu’imparfait lui plaisait bien, lui parlait. Au cours de sa vie, Donovan n’avait jamais eu l’occasion de faire de bonnes actions … il avait tué des gens sous les couleurs de son pays, puis sous les ordres d’InGen il avait permis à des riches de devenir plus riche sur le dos de créatures qui n’avaient rien demandé à personne. Aujourd’hui, Markus avait l’occasion d’agir pour le bien, d’être du bon côté. Et s’il devait mettre sa vie en danger pour cela ? Soit, tout avait un prix. Après tout, rien ne le retenait sur le continent, aussi son choix ne ferait-il de tort à personne. San vraiment laissé le temps à Dearing de digérer l’information, Markus poursuivit.

« — Où est-ce que vous en êtes ? » demanda Donovan, qui n’avait pas manqué de se poser mille et une question durant la journée « Je suppose que vous avez réinvestis les locaux abandonnés par InGen ? »

Si Markus devait reprendre un semblant de contrôle à Isla Sorna, l’ancienne base des scientifiques serait son choix premier. Si le temps et les évènements avaient mis à mal la grande majorité de la structure, les fondations et les murs restaient là, intactes ou presque … la misère, c’était mieux que rien du tout et en pareilles circonstances, mieux valait ne pas se montrer trop difficile. A l’époque, les dinosaures étaient incontestablement devenus maîtres de cette île jadis abandonnée par l’homme. Les choses avaient-elles changé ? Donovan en doutait. Si les prélèvements de dinosaures par InGen n’avaient pas manqué de mettre à mal l’écosystème de l’île, la vie trouvait toujours un moyen de s’en sortir d’une manière ou d’une autre. Ne l’avait-elle pas toujours fait jusqu’à présent ?

« — J’attendrai vos plans pour me faire un avis » répondit Markus « Bonne idée pour le matos … même si je me doute que la plupart des choses devaient être dans un sale état » fit-il remarquer.

Cela faisait combien de temps qu’InGen avait abandonné les lieux déjà ? Plus ou moins 25 ans, autant dire que le matériel laissé là-bas, bien qu’à l’époque en avance sur son temps, entrait largement dans la catégorie vintage.

« — Est-ce que vous avez commencé à recenser les dinosaures de l’île ? » lui demanda-t-il par la suite « Je peux vous faire une liste d’une partie de ce qui se trouve là-bas. Je me souviens assez bien de ceux que j’ai rencontré lorsque j’étais en mission, même ceux que je n’étais pas censé voir » raconta Donovan.

Il ne lui promettait pas une liste complète gorgée de noms scientifiques, mais sans doute Dearing apprécierait-elle de savoir qu’un Spinosaure arpentait les abords de la Grande Rivière … enfin, s’il était encore en vie bien sûr. Combien de temps vivait un dinosaure déjà ? La T-Rex avait plus de 30 ans après tout. Markus s’apprêta à poursuivre lorsqu’un cri un peu plus loin attira son attention, l’attention de tout le monde en vérité.

« — MAMAN MAMAN C’EST LA DAME DES DINOSAURES !! » hurla presque un gamin, qui s’était mis à tirer avec vigueur la main de sa mère.

Il avait reconnu Claire bien sûr et plus vite que Markus ne l’avait espéré, il échappa à ses parents pour rejoindre la dame des dinosaures à leur table. Il la fixa un long instant, silencieux, loin de se gêner à l’idée d’avoir pu interrompre leur conversation ou même de les déranger.

« — Comment tu t’appelles ? Est-ce que c’est vrai qu’tu vas sauver les dinosaures madame ? » demanda le garçon.

Le prénom n’était visiblement pas une chose qu’il avait retenu et interdit, Markus observa un moment cet étrange échange, pour l’heure à sens unique. Donovan connaissait trop peu Claire pour deviner sa réaction face à cette intrusion et sa bière à la main, rongé par la curiosité son regard passa de l’un à l’autre.

Lorsque Dearing lui demanda le nom de son dinosaure préféré, le gamin s’empressa de répondre Blue. Markus s’était attendu à un nom scientifique tiré par les cheveux, mais non, le dénommé Joey avait répondu du tac au tac. Blue avait sa petite réputation sur le continent et même si peu de gens avaient eu l’occasion de la rencontrer, elle restait la créature la plus aimée parmi ses compères, sans compter que ses marques bleues la rendaient reconnaissable autant qu’unique. Oui, la raptor d’Owen avait tout pour elle.

« — Et toi monsieur c’est lequel ton préféré ? » demanda le garçon en se tourna vers Markus.

Un peu pris de court (l’ancien militaire ne s’attendait pas à devenir aussi soudainement le centre de son attention), Donovan prit un instant pour réfléchir.

« — Ceux qui n’essaient pas de me manger » répondit-il, un sourire sur le coin des lèvres.

Sa réponse fit rire le gamin, et pourtant il y avait là une part de vérité que Markus ne pouvait décemment pas nier. Trop occupé à ne pas se faire bouffer ou écraser, Donovan ne s’était jamais posé la question … avait-il vraiment une espèce de préférence ? Parmi les créatures nées des laboratoires d’InGen, le Parasaurolophus faisait sans doute partie de ceux que l’ancien militaire appréciait le plus. Leur chant avait-il quelque chose à voir là-dedans ? Probablement, mais leur régime alimentaire n’y était pas non plus pour rien.

« — C’est dommage que le parc soit fermé. J’aurai trop voulu les voir en vrai ! J’étais trop petit avant » déclara le garçon. Dans sa voix se percevait toute l’étendue de ses regrets « Est-ce que tu vas rouvrir un autre parc madame ? Comme celui cassé par le T-Rex tout blanc ? » demanda-t-il à Claire.

Le gamin n’attendit pas la réponse de l’ancienne directrice : déjà, il enchaînait sur une autre idée. Il se tourna vers Donovan, se rapprocha davantage de lui.

« — Tu crois que je pourrai survivre comme ce garçon qui est tombé sur l’île en parachute ? » lui demanda-t-il « Regarde j’ai des muscles et je connais trop bien les dinosaures ! Peut-être même que Blue pourra m’aider ! » supposa-t-il.

L’enfant s’y voyait déjà, mais finalement il se fit de nouveau interpeller par sa mère, qui cette fois semblait perdre patience.

« — Joey, ça suffit. Laisse les gens tranquille » le houspilla-t-elle.

Et presque aussi rapidement qu’il était venu, le gamin s’éclipsa pour rejoindre la table de ses parents. Les paroles du garçon lui avait laissé matière à réfléchir … oui, Markus se souvenait de cette histoire de touristes naufragés. L’histoire lui était parvenue au cours de sa première année en tant qu’employé d’InGen ; déjà à l’époque cette histoire datait, et si Donovan n’y avait d’abord pas cru (comment un petit garçon pouvait-il survivre 2 mois seul sur une île peuplée de dinosaures ?), et pourtant elle s’était révélée être véritable. Markus avait une bonne mémoire, et il se souvenait des détails.  

« — Je me souviens de ce gamin, Eric Kirby. Il avait 12 ans à l’époque … il a survécu 8 semaines tout seul à Isla Sorna » raconta Markus « Quel âge a-t-il aujourd’hui … 30 ans, quelque chose par-là ? InGen n’a jamais cherché à l’embaucher et sans doute est-ce été une erreur. Si quelqu’un connait bien l’île et ses dinosaures, c’est lui. Les gens d’expérience sont rares, ça vaut peut-être le coup d’essayer » déclara l’ancien militaire.

Markus Donovan ne savait rien de ce garçon désormais devenu homme, mais un pressentiment l’animait. Si Eric Kirby n’avait jamais refait surface sous les couleurs d’InGen, sans doute n’était-ce pas dû au hasard. Peut-être le garçon avait voulu ne plus jamais entendre parler des dinosaures (renonçait-on vraiment à une passion aussi facilement ?) ou bien peut-être que, à la lumière de la sagesse d’Alan Grant, le jeune Kirby n’avait jamais eu l’idiotie de vendre son âme à la Masrani Corp, ce qui était de sa part une valeur non négligeable, car dieu savait combien la Masrani Corp pouvait payer grassement.